Derrière chaque chose magnifique, il y a une sorte de douleur.
Bob Dylan
Paul Éluard a élu la « Capitale de la douleur « (NRF, Poésie/Gallimard, 1976) comme lieu de la pensée.
Titre paradoxal s’il en faut, pour écrire une poésie « facile », « inséparable
de la rapidité », agile.
Elle est une sorte de brusque flamme qui dévêt la
pensée de toute gangue et qui livre instantanément la phrase dans sa plus
pure et fière nudité, sans nul effort qui se soit laissé voir dit André Pierre de
Mandiargues dans la préface du recueil.
Qu’en est il de l’ombre… Une ombre… Toute l’infortune du monde. Et
mon amour dessus. Comme une bête nue. Ou encore : Et l’ombre qui
descend des fenêtres profondes. Epargne chaque soir le coeur noir de mes
yeux…. L’ombre aux soupirs… La douleur est chez Eluard un point de fuite,
un insaisissable objet qui chapeaute le recueil sans jamais se dévoiler tout au
long des poèmes.
Les courts textes s’égrainent les uns après les autres sur
un ton léger, seule la référence à l’ombre vient projeter en négatif une plainte
qui ne se révèle pas.
Nous sommes dans le doute, l’énigme de l’absence, à la
recherche du signifiant qui reste masqué par la subtilité du propos.
Le poète
semble agir comme les adolescents qui dénient la souffrance pour mieux s’en
approprier l’origine.
Se scarifier pour ne pas ressentir la perte douloureuse
de l’enfance ?
Ecrire une exhalaison inspirée pour endosser les vêtements
trop grands de la disparition des illusions et de la toute puissance infantile ?
Les écrits secrets, les traces indélébiles des tatouages, autant de points
d’interrogations au sujet de ce qui serait alors pour eux une nature
douloureuse de l’existence même ?
Le registre de la souffrance est, pour Eluard, intimement lié à la perte,
à la rupture sentimentale qu’il vit lorsqu’il écrit ces poèmes adressés à Gala, sa
femme, qui vient de le quitter pour Dali.
Le paradoxe de la douleur n’en finit pas de nous déranger.
Pour l’un elle sera son sauveur, le mode d’expression unique et privilégié de
sa souffrance, interface utile et indispensable, seule médiation acceptable
dans la relation à l’autre. ( Les douleurs auto-infligées etc.., les douleurs ressenties
dans l’activité sportive,…)
Pour d’autres elles viennent s’insinuer dans le carcan de leur prothèse ou
autre corset, et les enveloppe d’une collerette de souffrance.
D’autres seront par contre seront terrassés par les affres de douleurs invalidantes,
terreur des simples mortels, les privant de toute liberté, d’aller et venir,
de penser, de ressentir autre chose que cette épée ou ce « fourraillage »
sordide et mortifère de la tenaille douloureuse.
Le vocabulaire est pauvre pour rendre compte de cette misère nous dit
Jacqueline Picoche dans le « vocabulaire de la douleur en français. Recherche de quelques primitifs sémantiques » ( Les formes du sens, Bruxelles, De Boeck Supérieur , «Champs linguistiques», 1997, 442 pages. URL : http://www.cairn.info/les-formes-du-sens–9782801111482-page-311.htm. DOI : 10.3917/dbu.kleib.1996.01.0311.)
Ce n’est donc pas un abus de langage de dire que certains mots sont « plus
primitifs » que d’autres.
Les différents mots de ce petit champ sémantique,
quoique très voisins les uns des autres et parasynonymes, sont inégalement
définissables ; il y a une progression de complexité de l’un à l’autre, et une
hiérarchie à respecter dans les définitions : les couples souffrir-souffrance et
faire/avoir mal – douleur constituent deux sortes de strates lexicales plus ou
moins voisines de la strate fondamentale qui serait celle des primitifs : celle
de Aïe ! et de mal.
Jean-Claude Bourdet
j’y entends un au-delà de la lecture classique de « l’au-delà du principe du plaisir », d’une douleur jouissance mais qui fait un pas de plus, celui des mots, de la sublimation ou serait-ce de la création à partir de ce réel ?
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Il s’agi d’un travail sur la douleur et la création qui fait partie d’un ensemble plus vaste, une sorte de réflexion sur la nature de l’humain,
Je vais essayer d’en proposer des suites mais je voudrais avant perfectionner le blog.
Merci pour le commentaire
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